« Pour les intérimaires, les fractures sont béantes » Interview SG CGT Interim, Laetitia Gomez.

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Travail sous épidémie: « Pour les intérimaires, les fractures sont béantes »
PAR MATHILDE GOANEC, LE SAMEDI 21 MARS 2020

Les intérimaires sont nombreux à être encore au travail, parfois pour remplacer des salariés rentrés chez eux, notamment dans les plateformes logistiques. Laëtitia Gomez, à la CGT, s’inquiète des nombreux abus qui commencent à émerger.
Les intérimaires sont également en première ligne, dans une économie certes ralentie par le Covid-19, mais dont certains secteurs gourmands en main-d’œuvre tournent à plein régime, comme les plateformes logistiques. En France, il a près de 3 millions d’intérimaires, qui enchaînent les contrats, le plus souvent de moins d’un mois. Pour cette population déjà fragilisée (les femmes, en particulier, 30 % du bataillon, travaillent en moyenne moins de 400 heures par an), l’épidémie est un tourment supplémentaire. Entretien avec Laëtitia Gomez, secrétaire générale du syndicat CGT Intérim.

Quels sont, d’après vos remontées du terrain, les points chauds, pour les intérimaires ?
Laëtitia Gomez : Pour l’heure, le plus problématique, ce sont les sites Amazon, où les entreprises de travail temporaire refusent les demandes de droit de retrait, qu’ils estiment non valables [lire notre enquête sur les conditions de sécurité sanitaire chez Amazon]. Les salariés sont obligés d’aller travailler sur des sites où il
y a pourtant des suspicions de Covid-19. Comme à Amiens, dans la Somme, ou Lauwin-Planque dans le Nord, avec une crainte pour une salariée intérimaire justement. Notre incompréhension, c’est que les salariés permanents de chez Amazon exercent eux leur droit de retrait, ou peuvent prendre le congé de 14 jours pour garde d’enfants, posent des congés… Mais concernant les intérimaires, l’entreprise ne veut rien faire.

Et en même temps, le gouvernement n’a-t-il pas laissé entendre qu’il fallait que les plateformes logistiques poursuivent leur activité ?
Tout à fait. Or, ce gouvernement doit se positionner différemment à ce sujet ! Je ne suis pas persuadée qu’Amazon, ou même aussi Novares et Constellium, deux entreprises de plasturgie, soient essentiels
à notre économie en temps de crise sanitaire ! Donc, soit le gouvernement fait une liste claire, soit tout le monde peut continuer à travailler mais en prenant les protections nécessaires pour chacun. Mais là, les fractures sont béantes. On renvoie les permanents chez eux et, à la place, des intérimaires viennent travailler.

De quelles protections bénéficient-ils ? Les consignes sanitaires, dont parle également le gouvernement, sont-elles appliquées les concernant ?
Il n’y a pas de masques, pas de gants, aucune mesure de distanciation, dans des entrepôts où les salariés travaillent à 300, 400 personnes ! Le pompon, c’est que le matériel ne soit pas nettoyé entre deux passages d’équipes. Ce n’est pas la peine de confiner tout le monde avec attestation si on laisse faire cela. Nous
le répétons : est-il indispensable que ces entreprises poursuivent leur activité dans ces conditions ?

Il y a ceux qui travaillent et ceux qui perdent leur travail.Vous dénoncez aussi des ruptures de contrat de travail pour les intérimaires en raison de la crise sanitaire.
Un intérimaire a les mêmes droits qu’un salarié, en théorie. Donc non, le « cas de force majeure », utilisé ces derniers jours pour rompre les contrats avant terme pour cause de défaut d’activité, ce n’est pas possible, nous le redisons avec force. Un contrat conclu pour six mois le 1er février, épidémie ou pas, doit être payé jusqu’en
août. Après, les employeurs jouent aussi avec le code du travail, pour mettre fin aux contrats. Dans un contrat intérimaire d’une semaine par exemple, les deux premiers jours sont de la période d’essai, mercredi est un jour obligatoirement payé mais les deux derniers jours du contrat sont considérés comme relevant de « la souplesse négative ». Cela veut dire que les entreprises peuvent rompre le contrat sans pénalités. Cela dit, ce n’est pas nouveau.
L’intérimaire est celui que l’on prend quand on en a besoin, et que l’on remercie brutalement si besoin. Sauf que l’essence même de ce principe déjà bancal est dévoyée puisque, dans certaines plateformes logistiques ou industries, on a 40 à 50 % d’intérimaires toute l’année.

On peut se dire que l’intérimaire pourrait néanmoins, dans la période, bénéficier d’indemnités Pôle emploi si son contrat est rompu, et éviter ainsi des conditions de travail dangereuses pour sa santé, non ?              Sauf que depuis le 1er novembre, les règles d’entrée à Pôle emploi sont défavorables au travail discontinu [pour mémoire, lire cet article de Dan Israel – ndlr]. Nous l’avions dénoncé, nous voyons les résultats aujourd’hui. Au-delà de Pôle emploi, les patrons de l’intérim ont touché des millions en crédit d’impôts grâce au CICE, c’est à eux de mettre la main à la poche désormais, et ils ont des réserves.
Donc s’il y a du chômage partiel, qu’il s’applique aussi aux intérimaires, et nous demandons le maintien du salaire des intérimaires à 100 % pendant la durée de la crise. Ils doivent aussi pouvoir bénéficier des mesures d’arrêt de travail pour cause de garde d’enfants. Nous avons fait remonter au syndicat patronal Prisme emploi et à Muriel Pénicaud ces demandes. Elles sont sans réponses jusqu’ici.

Boite noire

cet entretien a été réalisé par téléphone, jeudi 19 mars. Médiapart.

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